LES FACTEURS DE RISQUES
Un consensus est établi autour de six familles de facteurs de risques,
bien que tout secteur d’activité ait ses particularités.
Nous détaillons ci-dessous les spécificités propres au secteur de la recherche scientifique.
1. Intensité du travail et temps de travail
La charge de travail, sa durée et son intensité sont reliées aux notions de demande psychologique4 et d’effort5 . Elles sont liées à la cadence et au rythme de travail, à la durée d’heures hebdomadaires et la prévisibilité des horaires. Elles sont aussi relatives à la précision des tâches prescrites, à leur cohérence, à la fréquence des interruptions, à des injonctions de polyvalence, à de fortes responsabilités, à un impératif de compétences élevées…
C’est souvent le déséquilibre entre les exigences de résultat et les moyens d’action, de décision et de régulation, qui sont délétères pour la santé du salarié. Au lieu de pouvoir faire face aux demandes efficacement, elle risque de redoubler d’efforts pour donner satisfaction. Si ces efforts perdurent dans le temps, et ne se concrétisent pas par des succès, la personne peut se surinvestir, puis s’épuiser.
Dans le milieu de la recherche, cette charge est souvent intense, et dépendante d’échéances sur lesquelles les professionnels n’ont pas de prise (urgences liées aux évaluations, soumissions de publications, demandes de subvention…). De plus, les différentes exigences peuvent survenir simultanément et entrer en conflit les unes avec les autres. Le caractère aléatoire des manipulations implique parfois qu’un effort conséquent ait été déployé sans résultat correspondant.
2. Exigences émotionnelles
Cette famille de facteurs comprend les relations au public, le soin, le contact avec la souffrance, le devoir de cacher ses émotions et la confrontation à la peur. Les exigences émotionnelles désignent le « travail émotionnel » lié à la nécessité d’afficher et/ou de contrôler, voire réprimer ses émotions et ressentis authentiques.
Il s’agit d’une activité couteuse, bien que difficile à identifier, même par la personne concernée. Le contact répété avec l’agressivité et la souffrance d’autrui, sans possibilité d’action, peut mener à un épuisement émotionnel, au cynisme et à la perte du sentiment d’efficacité.
Une symptomatologie de stress post traumatique peut se développer en fonction de l’intensité ou de la chronicité des confrontations à l’hostilité ou au désespoir d’autrui.
Dans le milieu de la recherche, ces exigences concernent particulièrement la fonction de management des jeunes chercheurs souvent en situation de précarité professionnelle avec un impact sur la vie personnel. Les fonctions support à la recherche (animalerie, logistique, RH …) assurant les relations avec le public sont aussi concernées. Les interactions avec autrui interpellent l’état émotionnel du ou de la salarié.e, qui doit gérer ses émotions afin d’influer positivement sur celles d’autrui.
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4 Modèle de Karasek
5 Modèle de Siegrist
3. Autonomie
Le degré d’autonomie au travail se rapporte à la liberté dans la manière de mener à bien une tâche, à la possibilité de prévoir et d’anticiper son travail, à utiliser et développer ses compétences, à éviter la monotonie et l’ennui, et la capacité à ressentir du plaisir dans son travail.
L’autonomie se rapporte à la possibilité d’être actif, créatif, de prendre des décisions et d’influer positivement le cours des choses. Ces dimensions sont essentielles dans le développement d’une bonne santé ; elles nécessitent de disposer d’une latitude de décision suffisante, de connaitre les possibilités et les limites qui s’appliquent à son poste de manière à travailler en confiance et d’avoir le droit à l’erreur. Le partage de compétences au sein d’un collectif et une juste répartition des responsabilités et du pouvoir de décision y contribuent.
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Les métiers les plus qualifiés de la recherche scientifique disposent souvent d’une assez forte indépendance, cependant la structure organisationnelle peut favoriser plus ou moins l’exercice de l’autonomie. Il est à noter que plus l’autonomie est forte, plus il existe aussi un risque d’isolement et de perte de repères, qui peut conduire à sur-responsabiliser l’individu.
4. Rapports sociaux au travail
Les rapports sociaux au travail concernent la qualité des relations entre collègues, avec la hiérarchie et avec l’institution. Ils dépendent du sentiment de justice, de respect, de confiance et de reconnaissance qui résultent de processus comme l’évaluation de la performance, de l’adéquation entre les tâches et les compétences, de la rémunération, et de la communication notamment.
Les violences interpersonnelles (verbales, physiques, sexuelles, pressions morales) signalent une dégradation avancée des rapports sociaux, et ont des effets nocifs sur la santé. Des recherches sur la vitalité du collectif de travail (Caroly) et sur la centralité des règles de métier (Cru) rappellent l’importance de favoriser des échanges sur le travail pour consolider les rapports sociaux. La notion de soutien social, qu’il s’agisse du partage de solutions ou de soutien émotionnel, définit la qualité des rapports sociaux au travail. Les relations interpersonnelles ne sont pas tant déterminées par les caractéristiques individuelles des personnes, mais surtout par le cadre organisationnel qui les favorise ou les empêche.
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Dans le milieu de la recherche, un certain degré de compétition est parfois recherché, et entre alors en conflit avec les possibilités de coopération. L’évaluation individuelle quantitative de la performance décourage souvent les comportements favorables à la performance collective et le soutien social. A contrario, une réflexion sur les processus de justice organisationnelle permet de favoriser les conduites interpersonnelles positive ( par exemple, un accès équitable aux moyens techniques mutualisés).
5. Conflits de valeurs
Cette famille de facteurs décrit la souffrance qui peut découler de tâches en contradiction avec les valeurs d’un individu : travail bâclé, qualité empêchée, travail perçu comme inutile. Ces conflits de valeurs découlent des modes d’actions prescrits, de leur finalité ou de leurs conséquences, qui peuvent heurter les convictions, la morale ou la conscience professionnelle d’une personne. S’ils ne sont pas discutés collectivement, l’individu peut se retrouver seul pour gérer la dissonance ou le malaise qui en découle, ressentir de la honte, des regrets ou de la colère. Il est donc nécessaire de promouvoir une possibilité de débat collectif autour des décisions et arbitrages à prendre dans le travail.
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Dans le milieu de la recherche, la confrontation à des échecs peut créer des sentiments de déception et de dévalorisation de soi. Les exigences sur la qualité du travail peuvent produire les tensions au cours de l’accompagnement du travail des jeunes chercheurs. Des conflits de valeurs peuvent émerger de l’activité impliquant la manipulation de modèles animaux et concernant les chercheurs et les zootechniciens.
6. Insécurité de la situation de travail
La question de l’insécurité d’une situation de travail fait référence à la précarité ou la stabilité de l’emploi, du niveau de vie rendu possible par le salaire fixe, de la prévisibilité de la carrière. Les facteurs de pénibilité peuvent rendre le travail insoutenable sur le long terme et générer des incertitudes sur l’avenir. La succession de changements organisationnels dont les salariés ne perçoivent pas le sens contribuent à un sentiment d’insécurité délétère à la bonne santé mentale et remettent en question les acquis. La transformation des métiers ou de leurs conditions d’exercice, peuvent aussi causer des incertitudes et donc des incertitudes sur l’avenir.
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