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LES RESSOURCES POUR LA SANTÉ ET LA PERFORMANCE

Introduction

Le terme de ressources englobe un large ensemble de notions, qui diffèrent selon l’angle de vue adopté. Ainsi, les ressources peuvent être définies de manière générale comme l’ensemble des moyens disponibles pour la réalisation du travail ; en différenciant les ressources extrinsèques et intrinsèques à l’individu (Hellemans, 2014). 
Les travaux relatifs au stress au travail incluent souvent cette idée de ressource, comme manière de faire face ou de compenser, les causes ou les effets du stress. Selon les auteurs, il s’agit de la latitude décisionnelle (Karasek & Theorell, 1990), des récompenses reçues (Siegrist 1996), des modes de coping déployés (Lazarus & Folkman 1984), du recours au soutien social (Sarason, Sarason & Shearin 1986) de ressources personnelles (Kira, 2010)…
Hobfoll (1989) est à l’origine de la théorie de la préservation des ressources, qu’il définit comme des caractéristiques de l’emploi, de nature physique, psychologique, sociale ou organisationnelle, permettant de poursuivre les objectifs professionnels, de réduire les contraintes, ou de participer au développement personnel.  
Dans son modèle, le stress résulte de la perte (ou de la menace de perte) des ressources, ainsi que de l’absence de retour suite à l’investissement de ressources. Le fait de disposer de ressources (matérielles ou immatérielles) rend d’une part, moins vulnérable aux atteintes liées au stress (argent, assurance, amour, amitié, sécurité de l’emploi) et d’autre part, leur possession est valorisée et procure directement des avantages et des bienfaits (sentiment de succès, statut social...) A l’inverse, la mobilisation des ressources peut causer un facteur de vulnérabilité, si l’individu n’obtient pas de retour sur investissement : par exemple le fait d’investir de l’énergie, des efforts, du temps, des contacts ou des connaissances, cause d’une part leur perte et d’autre part la perte du gain espéré par l’individu. 
Le modèle « job demands resources » (Demerouti, Bakker, Nachreiner & Schaufeli, 2001) a vocation à s’appliquer à tous types de professions. Il repose sur une conception duelle de l’épuisement professionnel, selon deux processus : 

  • la fatigue et la perte d’énergie causées par les exigences professionnelles

  • la disponibilité et l’usage de ressources qui permet l’implication et la motivation au travail.

Ce modèle se base sur la perception qu’a l’individu des exigences de son travail, des ressources que lui met à disposition l’organisation et la perception de ses propres ressources. (Edey Gamassou, 2004) 

Ces ressources, qui sous-tendent la mise en place des stratégies, conditionnent donc la réalisation de l’activité, l’atteinte de la production, et indissociablement la préservation, voire le développement de la santé. Ainsi, la santé et la performance des individus au travail dépendent largement de l’organisation de leurs conditions de travail. On peut estimer le potentiel d’une organisation à développer favorablement la santé psychologique selon les aspects suivants (Foucher et Leduc, 2001) :
- Les possibilités d’équilibrer le temps et l’énergie consacrés à la vie personnelle et la vie professionnelle, en fonction de la charge et des horaires de travail,

  • La possibilité offerte par le travail de mettre à profit le potentiel de l’individu et de le laisser développer ses ressources, 

  • Le niveau de stress induit par le contexte de travail, la charge de travail, la présence d’ambiguïtés et de conflits de rôles, 

  • La recherche d’un équilibre entre les responsabilités et le pouvoir détenus par un individu, au regard des ressources dont il dispose dans un contexte donné, 

  • La valorisation que l’individu tire de son travail, à travers la reconnaissance de ses efforts et de ses apports, 

  • La présence de conditions de travail qui ne présentent pas de menaces pour l’intégrité physique et psychologique, 

  • L’accès à des revenus permettant de faire face à ses responsabilités de vie quotidienne, sans qu’il ne doive se surcharger de travail, 

  • Le soutien psychologique et les possibilités d’appartenance sociale qu’offre son collectif et sa hiérarchie, 

  • Les ressources et autres moyens mis à la disposition des individus par l’environnement de travail pour régler les problèmes de santé psychologique ou pour améliorer cette dernière : culture de la prévention, importance accordée au bien-être au travail…

Le collectif de travail

Le collectif de travail est défini comme un ensemble d’individus qui travaillent pour un but commun en respectant des règles de métier (Cru, 2014).  
Le terme de collectif peut correspondre à des configurations diverses : une équipe de travail peut constituer un collectif, mais il peut aussi exister plusieurs collectifs au sein d’une équipe, ou encore, un collectif peut être transversal à plusieurs équipes, voire à plusieurs services. (Lacoste, 2000). Il peut être constitué de métiers et de fonctions divers. Un même opérateur peut également appartenir à plusieurs collectifs. 
Ce collectif peut constituer une ressource à plusieurs titres, pour l’activité et pour la santé. 

D’une part, le collectif représente cette fonction de « contenance », qui permet de soulager l’individu des contraintes qu’il rencontre. De nombreuses formes de psychopathologie du travail proviennent du délitement du collectif, lorsqu’il est empêché de tenir cette fonction contenante (Dejours, 1998 ; Clot, 2003). Il a ainsi une fonction de protection, mais le rôle du collectif va au-delà. Il constitue une véritable ressource pour l’engagement de chacun de ses membres dans l’activité. (Clot, 2003).

D’autre part, à travers les règles de métier qu’il permet de produire et d’adapter, le collectif permet la mise en débat, de valider et de partager les différentes stratégies inventées. Il s’agit  « des arrangements locaux, provisoires, circonstanciés, sur des buts bien précis, répartition des hommes dans l’équipe, définition des priorités, de l’ordre des tâches à exécuter, etc. Les règles de métier offrent la possibilité d’une autorégulation dans le groupe en ouvrant l’espace de la parole créative, inventive, le lieu de l’énonciation, où s’entretient et se renouvelle la langue de métier. » (Cru, 2014, p. 123). 

Ensuite, les individus qui composent ce collectif peuvent s’entre-aider, se remplacer le temps de faire une pause, chercher ensemble des solutions. Ce collectif peut ainsi mettre en œuvre une activité allant au-delà de ce qui leur est prescrit à chacun individuellement, dans une optique d’entre-aide. En ce sens, l’activité collective est une ressource directe pour compenser les imprévus et variabilités inhérentes aux situations de travail, en trouvant de nouvelles manières de faire, en mutualisant les forces et les compétences. 

De plus, l’activité du collectif permet une mise en commun de compétences. Un apprentissage se construit, se transmet à travers les interactions dans l’activité. Les compétences sont développées par l’expérience collective et les échanges à froid qui lui succèdent. Ce partage constitue une ressource qui permet à l’individu de faire mieux, ou du moins différemment, que ce qu’il aurait accompli seul, ce qui élargit sa perception du possible : 
« L’activité collective donne du pouvoir d’agir aux sujets, des possibilités d’engagement et de création de nouvelles activités. (…) Ainsi la relation entre activité collective et santé individuelle semble être médiatisée par le développement des compétences » (Caroly, 2010, p. 217). 
Le collectif est donc une ressource pour la santé et pour l’activité : la mise en commun des compétences permet d’augmenter les marges de manœuvres en situation et celles qui sont envisageables pour l’avenir. 

Enfin, le collectif a une fonction de création, de transmission et de réajustements des règles de métier. Ces règles sont des compléments, voire des corrections apportées aux prescriptions de l’organisation. En réponse aux contraintes rencontrées dans l’activité réelle, elles permettent des arrangements locaux et circonstanciés, guident les décisions des opérateurs. Dans leur fonction d’articulation entre le travail prescrit et l’engagement subjectif des membres du collectif, elles sont structurantes pour l’opérateur (Cru, 2014). Ces règles de métier sont réélaborées constamment face aux contraintes et aux aléas, et contribuent à la fonction de ressource du collectif. 

Le travail « bien fait »

L’activité de travail mobilise l’individu, ses capacités, sa santé et ses compétences, pour lui permettre d’agir.  
Son activité l’amène à tisser un rapport particulier entre lui-même et ceux à qui le travail est adressé. En effet, la confrontation au réel du travail engendre, en premier lieu, des adaptations de la personne aux situations, puis façonne progressivement sa perception du travail. Ce rapport entretenu au travail va ensuite faire émerger une certaine vision du « travail bien fait » qui mobilise et façonne sa subjectivité au travail (Clot, 2010).

Cette notion peut être définie ainsi :  
« La subjectivité concerne le fait que, pour que des hommes et des femmes s’engagent dans le travail, il leur faut donner de soi, pouvoir se sentir pour quelque chose dans ce qui arrive et vivre le risque de ce qui s’y joue » (Sznelwar et Hubault, 2015, p.54).  

C’est l’engagement de sa subjectivité dans l’activité qui lui permet de travailler. Elle peut, en retour, permettre un développement de la santé : un individu se sent transformé, grandi, quand il est parvenu à travailler malgré les obstacles, en innovant, en créant. C’est là qu’il peut trouver du sens à son activité. 

Cependant, lorsque la capacité d’agir est trop restreinte, les individus se retrouvent face à un dilemme : soit ils renoncent à faire du « bon travail » et ainsi prennent sur eux le coût psychique de cette activité empêchée (Clot, 1999). Soit ils sont amenés à transgresser les limites imposées par les prescriptions, afin de répondre à leur vision du travail bien fait. Si l’organisation sanctionne ces transgressions, l’individu doit faire en sorte que ces « transgressions » restent clandestines. Cela isole l’individu face à ce conflit, qui est intériorisé, d’autant plus s’il ne peut pas faire l’objet de débat dans le collectif. 

Ainsi, la mobilisation de la subjectivité permet l’atteinte d’un travail bien fait, ressource pour la santé et pour l’activité. Cet investissement de soi au travail constitue également un risque pour sa santé, si l’équilibre entre les ressources et les contraintes ne permet pas son développement. 

Les environnements capacitants

Une organisation dite « capacitante » répond ainsi aux besoins des organisations autant qu’aux objectifs de santé des personnels. On distingue ainsi la capacité de la capabilité.
Le néologisme « capabilité », équivalent de l’anglais « capability », est utilisé en complément du terme « capacité ». En effet, « la capacité signifie le fait de savoir faire quelque chose alors que la capabilité désigne le fait d’être en mesure de faire quelque chose. » (Arnoud, 2013)
Ainsi, on peut considérer que la capabilité implique, en plus de la capacité à faire quelque chose, la possibilité réelle de la mettre en œuvre (Falzon et Mollo, 2009). 

Cette idée de capabilité trouve sa source dans la théorie des capabilités d’Amartya Sen (1999). La capabilité est définie par Sen comme l’ensemble des choix possibles dont jouit un individu, quel que soit l’usage qu’il en fera. C’est donc la latitude réelle, effective (et non théorique) d’une personne qui doit être prise en compte. Cela suppose de satisfaire un certain nombre de conditions concrètes, notamment dans l’environnement de l’individu. Sen explique par exemple, qu’il ne suffit pas que des individus disposent effectivement d’un droit de vote (capacité de voter) pour pouvoir être en capabilité d’exercer ce droit. La capabilité à voter suppose qu’ils aient accès à une éducation suffisante pour analyser et comprendre les programmes électoraux, qu’une diversité de partis politiques soit représentée, que les choix s’effectuent dans une réelle liberté, etc…

La notion « d’environnement capacitant » revient initialement à Mahbub Ul Haq (auteur du rapport mondial sur le développement humain6). Cette notion, reprise en ergonomie, notamment par Pierre Falzon (2013) vise à identifier les conditions d’une activité permettant le développement des individus. 

Un environnement capacitant implique que l’action d’un individu soit rendue possible par l’interaction entre ses propres capacités, et un environnement qui y soit favorable. En termes de santé, cette conception du croisement entre des variables individuelles et contextuelles contient à la fois un point de vue « préventif » un point de vue « universel » et un point de vue « développemental ». (Falzon, 2013) 

Du point de vue « préventif », un environnement capacitant ne présente pas d’éléments néfastes pour l’individu, il préserve sa santé et ses possibilités futures d’action (Arnoud, 2013, p. 120).
Du point de vue « universel », cet environnement doit également considérer les caractéristiques et différences interindividuelles, pour compenser leurs défaillances. Il offre de plus les marges de manœuvres nécessaires à l’individu pour éviter les sources de détérioration de sa santé et pour agir en faveur de son développement. 

Le point de vue « développemental » implique un environnement qui autorise les apprentissages, et donc une latitude certaine, qui inclue notamment le droit à l’erreur, la concertation, le partage de connaissances…
Selon cette approche, la prévention des risques psychosociaux n’implique pas d’éliminer toutes les difficultés (ce qui serait impossible), mais de faire en sorte que les difficultés auxquelles les individus sont confrontés soient traitables, c'est-à-dire qu’ils aient accès aux ressources nécessaires (en eux et/ou dans la situation) pour les dépasser. Ces difficultés peuvent ainsi être source de sens et permettre le développement des capacités des individus.


 

 6 http://hdr.undp.org

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